Notre Histoire

FUCKLAMODE

PART 1 : 2020

Pour vous remettre en contexte, en 1989, le salaire minimum est à 5 $ l’heure, les dépenses prévues pour le Québec seront de 33,2 milliards $. Les infirmières exercent des moyens de pression, culminant par une grève en septembre. Peu après, 200 000 employés de la fonction publique font la grève. L’avortement est un sujet chaud avec l’affaire Chantale Daigle. Le 6 décembre, 14 femmes sont assassinées par Marc Lépine à l’École Polytechnique. Du côté environnemental, des BPC sont déversés dans le Saint-Maurice et des pneus brûlent à La Prairie. Guy Lafleur signe son contrat avec les Nordiques, Roch Voisine nous chante la pomme et les gars de RBO nous font rire.

Et comme ça, Jean-François Renaud, propriétaire de la boutique Oclan, se dit en réponse à cette période plutôt sombre : «Fuck la mode».

La genèse de cette histoire est une carte postale qui servira d’envoi de masse pour ses clients. Une affirmation simple pour faire réagir. «Les clients ont tellement aimé qu’ils ont demandé des t-shirts. À ce moment, j’en ai fait imprimer 60 et je me suis dit que ça allait s’arrêter là. À partir du moment où les t-shirts sont arrivés sur le plancher, ça n’a jamais arrêté. À ce jour, on en a vendu plus de 100 000 unités», relate M. Renaud. Il précise que «“Fuck la mode”, initialement c’était quelque chose d’irrévérencieux dans le ton de l’époque. Moschino avait fait quelque chose de similaire. Maintenant en 2020 avec la pandémie, il y a encore plus de poids quand on dit qu’on fait ce qu’on veut, qu’on porte ce qu’on veut… fuck la mode.»

-Philippe & Jean-François.

«C’est l’idée que tu as une fois dans ta vie. Je me pince tous les jours. C’est provocateur, ça chatouille. J’ai eu cette réflexion seul. À l’époque, c’était difficile. Je faisais une réponse à la morosité.»

« “Fuck la mode”, initialement c’était quelque chose d’irrévérencieux dans le ton de l’époque. [...] Maintenant en 2020 avec la pandémie, il y a encore plus de poids quand on dit qu’on fait ce qu’on veut, qu’on porte ce qu’on veut… »
 Jean-François Renaud, propriétaire de la boutique Oclan

Le logo a évolué et a été décliné de plusieurs façons, toujours avec une touche humoristique. «J’ai eu l’idée de décliner en entrant chez Gucci… Guccheap. Pour rire de la mode dispendieuse. J’ai fait également un pastiche des marques Yves Saint-Laurent, Givenchy, Supreme et Comme des garçons. Je mélange l’humour aux grandes marques.» 

Café-boutique

Aujourd’hui on parlera plutôt d’une marque associée à un style de vie. Pour 2020, on assiste à l’ouverture du café «Fuck la mode» au deuxième étage de la boutique Oclan. En plus d’y retrouver les vêtements, l’espace est dorénavant un concept café-boutique ou vous pouvez prendre un café en magasinant. 

Mais qui donc aime ce slogan? Jean-François Renaud explique que dans son magasin, avec les années, il constate que «Fuck la mode» interpelle tout le monde. «Du jeune aux personnes de 80 ans, ils trouvent ça drôle. Ceux qui sont les plus interpellés sont les anglophones. Ils n’en reviennent pas de voir un magasin ou c’est écrit “fuck” à l’entrée. Tout est “fuck” à l’intérieur, ils sont sous le choc et achètent. Après 30 ans, la marque est devenue un incontournable à Québec. Je me rappelle avoir vu des guides touristiques dire : “si tu vas à Québec et que tu n’as pas le goût de te ramener du sirop d’érable, passes chez Oclan, achète-toi un t-shirt Fuck la mode, les gens sauront que tu es passé par Québec”.»

Au fil des années, ce logo est vu sur des personnalités connues : Vanessa Paradis et Lenny Kravitz, Chad Kroeger de Nickelback. Plusieurs artistes québécois, dont Marina Orsini, Claude Dubois… même Céline Dion possède le sien, reçu en cadeau lors de son passage en boutique. «Elle a trouvé ça rigolo. Je ne me rappelle pas toutefois l’avoir donné à des politiciens.»

De quelle façon va-t-on voir évoluer cette marque exclusive à Québec qui réussit à traverser les frontières? Le rêve ultime pour Jean-François Renaud serait une collaboration avec une grande marque comme Adidas ou Nike. Les boutiques éphémères sont en demande, une réflexion est engagée sur ce concept. Les produits se retrouvent partout dans le monde, mais la publicité en ligne est un défi, le mot «fuck» étant interdit par les réseaux sociaux. «Mon idée est de rendre la marque consolidée. Je désire l’élever avec le café. Ça change la vibe du magasin, les gens restent plus longtemps. Les commerçants viennent prendre leur café en passant avant d’ouvrir le matin. Je veux créer une communauté autour de la marque», affirme M. Renaud. 

Pour l’instant, le seul lieu physique pour se procurer le style «Fuck la mode» reste la boutique Oclan du quartier Petit Champlain. Une visite s’impose pour découvrir ce monde d’humour en réponse à la morosité. 

 

PART 2 : 2023

 

Samedi dernier, j’ai reçu un message de l’homme d’affaires Jean-François Renaud qui m’a donné des palpitations. «Salut Caroline, je te donne la primeur, Oclan ferme fin juillet après 38 ans de mode.»


Quoi? Oclan ferme?

Oui, Oclan ferme. Assurément. Les achats de la prochaine saison d’automne n’ont pas été faits. Mais cette nouvelle n’a rien de triste ni de tragique. Il n’y a pas de faillite ni de manque de main-d’œuvre. Oclan, la boutique de vêtements qui habille les femmes, n’existera plus. Mais lui survivra son produit le plus éloquent, qui fait réagir tous ceux qui passent devant la vitrine du magasin du Petit Champlain depuis 1989, la griffe maison Fuck la mode.



Une image de marque qui fait réagir

Quand on demande quelles raisons l’ont poussé à terminer l’aventure Oclan, la réponse de M. Renaud est mûrie. «Le magasinage pour femme s’essouffle. La mode a changé. L’ADN de Oclan femme n’est pas du “mou”. J’ai habillé pendant des années les avocates, les médecins, les actrices, les femmes de premier ministre. Je proposais des vêtements plus habillés et l’intérêt est moins là aujourd’hui. Mais l’intérêt pour Fuck la mode lui, est bien présent. J’ai donc pris la décision de faire mon été et de fermer fin juillet, de faire une rénovation cosmétique et d’arriver avec un nouveau concept pour Fuck la mode.»

La boutique Oclan de Jean-François Renaud fermera ses portes après 38 ans pour laisser la place à Fuck la mode.

En 2020, je vous ai parlé de cet irrévérencieux slogan et de son histoire dans le cadre de l’ouverture d’un espace concept au second étage de la boutique Oclan. Je vous racontais que la genèse de ce provocant logo était une carte postale qui a servi d’envoi de masse pour ses clients. Jean-François Renaud relatait qu’«ils ont tellement aimé qu’ils ont demandé des t-shirts. À ce moment, j’en ai fait imprimer 60 et je me suis dit que ça allait s’arrêter là. À partir du moment où les t-shirts sont arrivés sur le plancher, ça n’a jamais arrêté.»

Un impressionnant inventaire de produits est prêt pour la vente.

Aujourd’hui, l’histoire que j’entends est plus qu’une fermeture de magasin. Bonne nouvelle, la pandémie a fait «exploser» la marque Fuck la mode. M. Renaud n’a jamais cessé de voir le potentiel de cette image de marque. Pour lui, elle a plus qu’un attrait commercial, elle est l’occasion de laisser libre cours à son flair et à sa créativité mode.

«Nos logos fonctionnent, le nain, l’ourson, la signature maison et notre nouvelle signature écrite à la main. C’est original, nous travaillons avec notre illustrateur. Nous voulons collaborer avec des artistes locaux», explique M. Renaud. Depuis les deux dernières années, il a peaufiné son image de marque, trouvé de nouveaux fournisseurs et précisé la direction qu’il voulait prendre. Depuis juillet dernier, il affirme que «c’est parti!».

Ce changement offrira deux fois plus d’espace pour l’irrévérence. L’ancien espace Oclan sera réservé pour des pièces haut de gamme qui vont élever la marque. Sur les tablettes, on verra des chandails de mérinos et du cachemire. On nous annonce également des éditions limitées. Pour l’aménagement de l’espace, «je suis parti avec l’idée du sous-sol de ma mère». On s’attend à des meubles rétro, dans l’esprit des années 1970.

Le deuxième étage sera consacré aux produits dérivés.

Nouveau chapitre

L’étage actuel de la marque sera consacré aux accessoires et produits dérivés. On parle aussi d’articles pour enfants. L’espace sera disponible pour une offre plus variée.

Après autant d’années à habiller ses clientes, Jean-François Renaud ne semble pas avoir perdu la flamme. «Je suis excité. Je suis rendu au point de développer ma marque et mon point de vue créatif. Il est certain que c’est 38 ans de mode féminine et que je me suis éclaté. J’ai travaillé avec les créateurs forts, Marie Saint Pierre, Nadia Toto, Philippe Dubuc. J’ai habillé des gens pour toutes les occasions, de la fille à la grand-mère. Je tourne la page avec de très bons souvenirs.»

Des produits de luxe Fuck la mode sont maintenant proposés, tel que les chandails en laine mérinos.

Ce nouveau chapitre, Jean-François Renaud ne l’écrira pas seul. Philippe Montminy-Turgeon fait maintenant partie de l’histoire. Arrivé comme employé chez Oclan, il a montré beaucoup d’intérêt pour la marque dès ses débuts. Il a mentionné ses ambitions de devenir un jour entrepreneur à son patron. «Je l’ai laissé aller, pour me prouver. Durant la pandémie, il m’a vraiment épaulé dans plein de projets. Un moment donné, je lui ai dit : “Si ça t’intéresse, je suis prêt à être partenaire avec toi, on va faire un bout de chemin”», relate M. Renaud, qui se voit maintenant comme un mentor. «Ça va bien, c’est super. Je l’implique au niveau de la création. Je veux qu’il s’approprie l’entreprise.»

Bien que Jean-François Renaud ait trouvé une relève pour son entreprise, cet enfant terrible de la mode de Québec n’est pas sur le point de tirer sa révérence. Toutefois, en posant ce geste, il s’assure que son message de style se poursuivra pour les générations futures.

Et ce message insolent, coquin, qui combat la morosité, est justement ce dont on a besoin pour encore bien des années à venir : Fuck la mode!